January 05, 2009

paysages et topographies nomades: michaële-andréa schatt





dans un jeu de plis et de déplis, attaquer le style et limites, bannir de l'esprit le "déjà vu", trouver que rien n'est en ordre, éclaircir l'obscurité, interroger le regard, les yeux fermés jusqu'à l'aveuglement, refuter dans un éclat de rire, la croyance en une imagination créatrice.....
(alors où est cachée la femme?)



Michaële-Andréa Schatt vit à Montreuil dans la banlieue parisienne. Elle “y vit et travaille “ comme disent les notes biographiques des catalogues. Sur les hauteurs de la ville, son atelier s’ouvre sur un jardin-jungle où les rosiers lianes tendent des ponts improbables entre un érable rougeoyant et le vert sombre d’un pin parasol. Non loin, mais plus haut encore, le complexe industriel de Mozinor domine la ville avec ses dizaines d’entreprises, ses rampes d’accès où se croisent des camions gigantesques, le vacarme, la poussière, les odeurs des machines, le tout dans un bâtiment crénelé dominant la cité avec des allures de forteresse du travail.

Les peintures préséntées <à Luxembourg> ont en commun d’avoir été peintes non pas dans l’atelier de l’artiste, mais dans cette géhenne laborieuse surdimensionnée. Là, quelle que soit l’ampleur de son format, la toile est réduite, comme minimisée par la rudesse du décor. Ici, la peinture doit se défendre, s’imposer autrement plus vigoureusement que dans le désordre chic et bo-bo qu’affectionne aujourd’hui l’art contemporain.

“Vivre” et “travailler” sont, pour l’artiste, deux activités indissociables. Simplement, elles s’intriguent plus ou moins bien, avec plus ou moins de bonheurs ou de peines. En changeant provisoirement d’atelier, le pari de Michaële-Andréa Schatt était aussi de tisser un dialogue entre ses deux penchants pour la périphérie des villes et la campagne. Non pas la ville même avec son centre et ses moments pour cartes postales, mais l’urbs hybride et bigarrée de la banlieue qui transpire autant au travail qu’en tapant dans un ballon. Non pas la campagne replète des résidences secondaires, mais celle, plus incertaine, où nul ne sait plus si ce sont les hommes qui ont abandonné les cultures ou bien si c’est la nature qui depuis toujours résiste.

Que reste-t-il des promenades au bord du Loir, des miroitements impressionnistes de la rivière lorsqu’on peint au chant des emboutissements et des massicots? Sans doute, au moins cette distinction que permet l’anglais entre cityscape et landscape. Elle souligne l’attachement du paysage à la ruralité, et la contradiction entre ce genre pictural et l’univers urbain. Mais dans ce cadre aussi rude, peindre des paysages prend aussi une signification nouvelle. C’est presque un acte de foi ou de résistance. Il y a quelque chose de héroïque et de dérisoire dans la manière avec laquelle l’artiste dispose des dizaines de petits miroirs formant une rivière artificielle de reflets dans un lieu que l’oeil de prime abord réprouve. Il faut de la pitié pour la ville et une grande âme pour offrir au béton brut et sale de telles rivières enchantées. Chaque miroitement engendrera une des peintures de l’incroyable machine à tisser ces microcosmes à la fois beaux, fragiles et contraires.

S’il y a clairement des toiles qui tendent, les unes vers la nature, les autres vers la ville, toutes ont en commun cette ordonnance entre le motif et trame d’empreintes succsessives avec laquelle le peintre compose. Les peintures sur papier résument à la fois le geste pictural déployé dans les toiles, et la tension entre le motif végétal ou humain et la mise en réseau de l’espace où celui-ci se révèle. Les simples macules récupérées de l’imprimerie voisine sont d’abord vivement carroyées en laissant toujours perceptibles des bribes des couleurs initiales. Puis le motif vient s’immiscer ou s’imposer dans cette grille abstraite jusqu’au point d’équilibre de la composition.

C’est bien d’équilibre des contraires, entre ville et campagne, contemplation et labeur, dont parle cette exposition. Selon notre tempérament, nous sommes entraînés vers telle ou telle oeuvre. Pourtant, rien n’est galvaudé. Le regard n’est jamais unilatéral, il tisse et métisse des horizons différents, en cheminant dans des paysages qui finalement nous ressemblent.

Camille Saint-Jacques










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